Le rôle de l’accompagnement social

Le 26 novembre 2016 pendant la réunion annuelle des associations soutenues par la Fondation Julienne Dumeste, dans le pavillon de musique de la Comtesse Du Barry à Louveciennes

 

R. LECOQ

C’est bien volontiers que j’ai accepté d’intervenir aujourd’hui, à la demande du président Didier Lagarde, en qualité de Grand Témoin, selon ses propres termes.

Je connais la Fondation Julienne Dumeste depuis plusieurs années. J’apprécie le soutien qu’elle apporte à de nombreuses associations. En particulier à celle qu’elle a et qu’elle continue d’apporter au Diaconat de Bordeaux que j’ai présidé pendant six ans. C’est un soutien financier mais aussi un soutien moral.

Je ne suis pas un spécialiste de l’accompagnement social. C’est seulement à partir de mon expérience que je peux en parler. Une expérience singulière. C’est à la suite d’un concours de circonstances et sans y avoir été préparé que je suis devenu président du Diaconat. Dans cette fonction, j’ai découvert l’accompagnement social tel qu’il y est pratiqué.

Je vais vous dire en quoi il consiste. Quelles sont les diverses actions de cette association, comment elle s’est développée – et se développe encore sous la pression de la demande. Quelles sont ses réussites et ses difficultés.

Pour terminer je vous livrerai quelques réflexions personnelles, sur l’accompagnement en général et sur ce que j’ai retiré sur le plan personnel de cette expérience.

Le Diaconat de Bordeaux est une association protestante qui a succédé à une Société de bienfaisance qui avait été créée en 1805. Constituée en association loi du 1er juillet 1901, elle a été reconnue d’utilité publique en 1906. Son projet associatif proclame que le Diaconat veut répondre à l’appel de justice sociale et de l’amour du prochain exprimé dans la Bible et mettre en pratique l’exigence d’égale dignité de chaque personne proclamée par la Déclaration des Droits de l’Homme.

Personnellement je ne suis pas protestant, ni catholique d’ailleurs. Mais j’ai épousé une protestante. Ce qui me fait dire que je suis protestant par mariage. C’est donc par ma femme que j’ai connu le Diaconat où elle est bénévole depuis 1990. A cette époque, il y avait un pasteur et quelques bénévoles qui tenaient des permanences. C’était le début du RMI. Des personnes en difficultés venaient pour qu’on les aide à en faire la demande. Ensuite elles revenaient chercher un soutien dans leurs difficultés quotidiennes. Aujourd’hui, presque trente ans plus tard le Diaconat compte 85 salariés. Il en comptera bientôt 100 en raison de nouveaux services liés à l’accueil des migrants. Il y a à peu près 200 bénévoles qui interviennent à des degrés divers.

C’est en 2005 que ma route a croisé celle du Diaconat. A l’époque, le Diaconat gérait un Centre d’Hébergement et de Réinsertion Sociale (CHRS,) une pension de famille et un centre d’accueil d’urgence. Ce dernier était installé dans un pavillon en assez mauvais état et pour tout dire inadapté à sa destination. La question s’est bientôt posée de son installation dans un autre lieu. Parce que j’ai été responsable local d’une grande entreprise du BTP – un secteur assez éloigné de l’accompagnement social – par l’intermédiaire de mon épouse, j’ai été sollicité pour donner mon avis sur l’installation possible dans de nouveaux locaux de ce centre. Il m’a ensuite été proposé d’entrer au Conseil d’Administration où j’ai découvert rapidement que la présidente avait annoncé qu’elle ne demanderait pas le renouvellement de son mandat et qu’aucun administrateur ne voulait prendre la relève. A l’Assemblée générale suivante j’ai été élu presqu’en même temps administrateur puis président. C’était inattendu pour moi.

Pourquoi ai-je accepté ? D’abord pour rendre service, et – inconsciemment – sans doute pour conserver en tant que retraité un rôle dans la société.

Avec Philippe Rix, ici présent, aujourd’hui Directeur Général du Diaconat, nous avons pendant six ans – la durée de mon mandat – affronté les difficultés et pu développer le Diaconat pour répondre à la demande qui n’a jamais cessé et qui continue aujourd’hui.

La mission  du Diaconat de Bordeaux est de venir en aide, sans distinction de religion, d’origine, d’idéologie ou de nationalité aux personnes en situation de détresse.

Quelle forme prend cette aide ?

Historiquement, le premier service à avoir été créé est le service accueil. Le RSA a fait suite au RMI. Chaque demandeur ou bénéficiaire doit avoir un référent. Avec le temps, les procédures se sont complexifiées. Les personnes suivies par le Diaconat sont celles qui ne sont pas aptes à retrouver un emploi et qui sont déjà dans une grande difficulté sociale. Il peut s’agir de SDF. Il faut les aider à faire les démarches indispensables : inscription à la sécurité sociale, demande de papiers d’identité, etc.. Elles sont souvent adressées par d’autres services sociaux qui savent que le Diaconat accueille sans conditions ceux qui se trouvent dans les situations les plus difficiles. Certaines ont un logement, mais il leur arrive d’oublier d’en assumer les charges correspondantes, par exemple de payer leur loyer ou une facture d’électricité. Dans ce cas, elles viennent pour un secours, pour une lettre, pour qu’on les aide à sortir du mauvais pas dans lequel elles se sont mises. D’autres personnes viennent seulement, mais assez régulièrement pour avoir un moment de conversation, comme quelqu’un qui s’accrocherait à une branche pour ne pas se noyer.

Deux centres d’hébergement et de réinsertion sociale accueillent des personnes ou des familles. Elles sont logées et accompagnées en vue d’accéder ou de recouvrer leur autonomie personnelle et sociale. La durée de séjour est généralement inférieure à deux ans.

Deux Pensions de famille accueillent sans limitation de durée des personnes au faible niveau de ressources et qui se trouvent dans une situation d’exclusion lourde. L’accès à un logement autonome apparaît difficile pour elles, sinon impossible. La moitié des personnes qui résident dans ces pensions de famille sont présentes depuis plus de six ans. Quelques-unes y finiront leur vie.

Un centre d’accueil d’urgence accueille des SDF qui ont pu joindre le 115, le numéro d’appel pour ceux qui sont dans la rue. Un organisme, le SIAO, recueille les demandes et oriente en fonction des places disponibles. Ce centre a d’abord été ouvert pendant la période hivernale. Tous les ans c’est le même branle-bas de combat. Les journaux s’en font régulièrement l’écho. Aucun SDF ne doit mourir de froid dans la rue. La Préfecture fait ouvrir des centres d’hébergement d’urgence dans des gymnases, des salles municipales, toutes sortes de locaux. C’est ainsi que le Diaconat s’est vu confier presque d’autorité par les services de l’Etat, la gestion d’un centre d’hébergement, dans un ancien collège professionnel où 80 personnes ont pu être accueillies. La première année, il n’y a pas eu d’autres solutions que de les remettre à la rue à la fin de la période hivernale. Situation que nous avons mal supportée. Vivre dans la rue est aussi pénible l’été que l’hiver. On y meurt de la même façon. Alors, avec d’autres associations nous avons manifesté. Nous avons fait valoir le droit au logement opposable dont la loi venait d’être votée. Nous avons même menacé l’Etat de le poursuivre en justice pour non-respect de la loi. Après bien des difficultés, des crédits ont été débloqués pour que le centre reste ouvert toute l’année. Par ce rappel, je veux montrer que l’accompagnement social c’est aussi avoir un engagement politique en faveur de ceux qui n’ont pas les moyens de défendre leurs droits. Aujourd’hui, la démolition du collège est programmée. Il se situe dans le périmètre d’une opération d’urbanisme. Il va falloir trouver un autre lieu d’hébergement. Un nouveau combat commence pour qu’il trouve une place au milieu des opérations immobilières.

Un service habitat gère un parc de 240 appartements que le Diaconat loue et sous-loue ensuite à des personnes qui n’offrent pas les garanties suffisantes pour accéder par elle-même à une location. Le Fonds de Solidarité Logement permet de garantir le paiement du loyer en cas de défaut et finance un accompagnement social. Certaines personnes ont précédemment vécu dans des hébergements collectifs. Il faut leur apprendre à gérer un budget et à vivre de manière autonome.

Quelques chiffres, pour vous donner une idée de l’importance de ces différentes actions. En 2015, le Diaconat de Bordeaux, a  accompagné 1765 personnes. Parmi elles,

  • 1471 ont bénéficié d’un hébergement ou d’un logement,
  • et 294 ont été suivies par le service accueil.

Dans l’ensemble les hommes sont trois fois plus nombreux que les femmes. Certaines personnes sont en couple, un petit nombre, avec enfants. Au cours de l’année, il y a eu 21 naissances. Des grossesses se sont déclarées.

Beaucoup sont d’origine étrangère. La barrière de la langue est un obstacle supplémentaire à l’insertion.

Quel a été le parcours de vie de toutes ces personnes avant de frapper à la porte du Diaconat ? Chaque histoire est singulière. A l’origine, il y a presque toujours une rupture ; familiale à la suite d’un divorce, il y a des femmes qui fuient des violences conjugales ou des jeunes qui ont été mis à la porte du domicile familial. Ce peut être la perte d’un travail. La situation est souvent aggravée par l’alcool ou la maladie. Le rôle du Diaconat est de les aider à s’en sortir. Pour certains c’est trop tard.

En allant au Diaconat, je croisais sur mon chemin quelqu’un qui faisait la manche, toujours au même endroit. Au coin d’une rue, près de la porte d’un café-tabac. Je savais qu’il venait régulièrement au Diaconat. Sa demande était d’avoir un logement. Il avait un problème avec l’alcool et ne voulait pas passer par un centre d’hébergement, ce qui vu son état de désocialisation était impossible. Après beaucoup d’insistance, il a accepté de suivre plusieurs cures de désintoxication. Le Diaconat a fini par lui trouver un logement. Il n’a pas pu y rester, il disait qu’il y entendait des voix. Ca a encore été le cas dans un deuxième logement.

Il a préféré retourner au coin de la rue, faire la manche et dormir ça et là.

Tel autre qui venait aussi régulièrement au Diaconat dormait dans des entrées d’immeubles dont les locataires bienveillants lui ouvraient la porte. A chaque fois qu’on lui a trouvé une place d’hébergement, il y a eu un problème : soit une bagarre, soit l’introduction en cachette d’une bouteille d’alcool ou bien le non-respect des horaires et finalement le renvoi.

Tel autre vient régulièrement au Diaconat pour passer un moment et parler. Il ne touche pas le RSA. Il ne veut rien devoir à la société. Ses préoccupations tournent autour de la recherche de ses origines et de sa filiation. Il s’est construit un abri dans les bois près de Bordeaux.

Ce sont des cas extrêmes.

Les autres, les cas courants si j’ose dire, forment un peuple invisible qu’on croise dans la rue sans le remarquer. Heureusement, beaucoup parmi ceux qui acceptent d’être accompagnés s’en sortent. Souvent au bout de plusieurs années. L’aboutissement de leur réinsertion est leur installation dans un logement. Le retour au logement est la base de la réinsertion. L’accompagnement social c’est aussi les accompagner dans un parcours de santé, santé qu’ils, ont dans la plupart des cas, négligé.

Depuis que j’ai quitté la présidence, le Diaconat a augmenté ses capacités d’accueil. En gérant tout d’abord une Résidence Hôtelière de 130 chambres où logent des apprentis et des personnes de passage aux ressources modestes. Ca peut être par exemple un demandeur d’emploi qui vient passer un entretien à Bordeaux et dont le domicile est éloigné.

Le fait d’actualité est l’arrivée des migrants. Le Diaconat se devait de participer à leur accueil. Il le fait, en gérant un CADA (Centre d’Accueil des Demandeurs d’Asile) qui peut accueillir 80 personnes et deux CAO (Centre d’Accueil et d’Orientation) par lesquels peuvent transiter 70 personnes.

La plupart des activités du Diaconat sont des activités d’intérêt général, c’est-à-dire quelles sont faites pour le compte de la société. A ce titre elles sont financées par l’Etat et les collectivités locales. Elles s’inscrivent dans des dispositifs réglementés pour lesquels il faut être agréé. Les liens avec les tiers financeurs sont complexes. Les enveloppes financières sont souvent contraintes et leur niveau n’est jamais assuré, les règlements tardent à arriver. C’est souvent dans l’urgence qu’il faut répondre à l’administration quand elle a identifié un nouveau besoin. Cela a été encore le cas pour l’accueil de migrants. Il faut alors répondre rapidement et imaginer un dispositif qui devra être opérationnel quelques semaines plus tard. Les associations peuvent être mises en concurrence dans le cadre d’un appel à projet. La logique comptable a aussi sa place dans l’accompagnement social.

Les salariés du Diaconat sont des travailleurs sociaux qui ont reçu une formation adaptée. Ils exercent un métier difficile qui les conduit à être en permanence avec des personnes en difficulté. On a récemment noté une recrudescence des arrêts maladie. Le travail des professionnels est complété par l’intervention de bénévoles. Certains – souvent certaines – sont devenus des spécialistes de l’accueil et de la réglementation RSA, connaissant par ailleurs parfaitement les arcanes de l’administration. D’autres vont se mobiliser pour servir des repas – y compris le dimanche – dans le centre d’hébergement d’urgence. D’autres encore vont aller chercher de la nourriture à la Banque Alimentaire et la répartir dans les divers établissements du Diaconat. Je pourrais citer d’autres actions des bénévoles.

Je voudrais terminer maintenant mon intervention par quelques réflexions.

La pauvreté semble avoir toujours existé. Dans cet état, des individus, des familles manquent des ressources nécessaires pour se nourrir et avoir les conditions de vie qui sont celles de la société.

Il faut donc leur venir en aide matériellement. C’est la priorité. Servir un repas, proposer un hébergement. Mais là n’est pas l’essentiel. Il ne s’agit pas de les aider à supporter leur situation il faut aussi et c’est le fondement de l’accompagnement social, les aider à trouver en eux les ressources pour s’en sortir.

Il n’y a pas de pauvreté sans exclusion.

Etre exclu c’est se sentir discriminé, mis à part, traité différemment. L’exclusion génère souffrance et  humiliation et marque profondément les individus. Ceux qui s’en sentent victime, interprètent toute situation défavorable, tout accroc dans leur trajectoire, toute injustice, comme des preuves répétées de leur mise au ban.

C’est ce sentiment qu’il faut combattre. Il faut redonner confiance par une écoute de l’autre, un respect, une considération de la personne. Chacun d’entre nous est concerné. On ne plus faire avec la pauvreté, il faut lutter contre. Dans nos sociétés démocratiques on ne peut plus faire comme si il n’existait pas une tension fondamentale entre l’affirmation de l’égalité de tous les individus et les inégalités sociales.

Imagine-t-on ce que serait l’état de notre société s’il n’y avait pas d’accompagnement social ?

Cet accompagnement s’appuie sur des valeurs que chacun d’entre nous possède en lui. Que ces valeurs se réclament de l’Evangile ou de l’humanisme, elles nous font obligation de nous soucier de notre prochain.

Cette obligation est heureusement largement ressentie si j’en juge par le nombre de bénévoles qui interviennent au Diaconat, et ailleurs dans de très nombreuses associations. Etre bénévole, c’est montrer que tout n’est pas argent. Les associations sont devenues l’armature de notre société. Elles assurent la cohésion sociale nécessaire au maintien d’un cadre qui nous permette de vivre ensemble. C’est grâce au tissu associatif que notre société tient, malgré les difficultés, les inégalités, les injustices.

Je vous ai dit en commençant mon intervention que la présidence du Diaconat avait été pour moi une expérience singulière. Elle m’a beaucoup appris sur les hommes, sur la société et sur moi. Lorsque qu’on est jeune retraité, ce qui était mon cas quand j’ai été appelé à la présidence du Diaconat, on peut hésiter entre deux tentations, celle du repli pascalien à savoir que « tout le malheur de l’homme vient d’une seule chose, qui est de ne pas savoir demeurer au repos dans une chambre » et celle de se confronter au réel et de conserver un rôle actif dans la société. Un heureux concours de circonstance m’a conduit à ce deuxième choix. Je ne regrette pas.

J’ai eu plaisir à travailler en équipe sans hiérarchie pesante. A travailler dans l’humain et dans le concret.

Voilà ce que j’ai eu envie de vous dire, aujourd’hui, en tant que « Grand témoin ».

Je vous remercie de votre attention.

 

R.LE COQ

JE SOUTIENS LE DIACONAT